International Revolutionary Youth Camp

Formation - " La théorie de la Révolution Permanente "

vendredi 5 août 2011 par Secrétariat jeunes NPA

La théorie de la Révolution Permanente, c’est un des apports majeurs de Léon Trotsky à la théorie révolutionnaire, et c’est donc un des outils de compréhension principaux dans l’héritage politique de la 4ème Internationale.

C’est à la fois un outil d’analyse et de compréhension du monde, de l’histoire, des processus révolutionnaires passés et présents, et un outil pour élaborer une orientation, un outil pour l’action.

La théorie de la Révolution Permanente est une tentative de répondre à une question absolument décisive : comment les travailleurs, les jeunes, les opprimés... des pays capitalistes périphériques (c’est à dire les pays du Sud ou du Tiers-monde, c’est à dire la grande majorité de la planète) peuvent réussir non seulement à renverser les dictatures, à se libérer de la domination impérialiste, mais même à s’engager sur la voie du renversement du capitalisme et de la construction d’une société sans classe, sans oppression ?

Non seulement cette question a traversé tout le 20ème siècle, mais en réalité, toutes les révolutions victorieuses du 20è siècle (que ce soit en Russie, en Chine, en Yougoslavie, à Cuba, au Vietnam...) sont des processus de révolution permanente. On ne pourra évidemment pas toutes les aborder dans le cadre de cet exposé... On se centrera principalement sur trois exemples historiques : la révolution russe, la révolution cubaine, et le débat qui a eu lieu dans le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud.

De plus, cette question du renversement des dictatures et de la domination impérialiste est aussi d’une actualité brûlante, et l’exposé va aussi l’aborder à la lumière des processus révolutionnaires au sud de la Méditerranée, principalement en Tunisie et en Égypte.

Cet exposé va se faire en 3 parties :

→ On va d’abord tenter de présenter la base sur laquelle est fondée la théorie de la révolution permanente, ce qu’on appelle la loi du « développement inégal et combiné »

→ Dans un 2e temps, on parlera plus spécifiquement des processus de révolution permanente

→ Enfin, on essaiera d’en tirer des conclusions en termes d’orientation concrète et actuelle

I : La loi du développement inégal et combiné

Dans la IIeme Internationale, au début de 20e siècle, il y avait un dogme sur l’analyse de l’histoire.

L’histoire serait une succession mécanique d’étapes rigides, imperméables entre elles et prédéterminées, un mode de production après l’autre : esclavagisme (comme la Rome antique), puis féodalisme (anciens régimes européens), puis capitalisme.

Tous les pays suivraient la même trajectoire, la seule différence étant leur vitesse...

C’est une vision de l’histoire mondiale à la fois simpliste, statique, qui évacue les contradictions, et vue à travers des lunettes européennes.

Contrairement à ce dogme mécaniste de la IIeme Internationale, Trotsky élabore une interprétation dialectique du processus historique.
En analysant les causes de la 1ere révolution russe de 1905, à partir du développement du capitalisme en Russie, donc dans un pays dont la majeure partie de la population est toujours dominée par le servage (paysans attachés à leur seigneurs), Trotsky élabore ce qu’il appelle la loi du développement inégal et combiné.

1) Développement inégal

Trotsky part d’un constat évident : il y a une inégalité entre les différents pays du monde, dans leur rythme de développement. En ce début du 20e siècle, certains pays ont atteint des degrés de développement (économique, social, technologique...) plus avancés que d’autres.

Mais contrairement à la vision mécaniste, Trotsky analyse que le développement des pays « retardataires », ne se fait pas de manière linéaire, progressive, régulière, en respectant les mêmes étapes que leurs prédécesseurs...

Les pays retardataires sont forcés d’avancer par bonds !

« Forcé de se mettre à la remorque des pays avancés, un pays arriéré ne se conforme pas à l’ordre de succession : le privilège d’une situation historiquement arriéré — ce privilège existe — autorise un peuple, ou bien, plus exactement, le force à s’assimiler du tout-fait avant les délais fixés, en sautant une série d’étapes intermédiaires. Les sauvages renoncent à l’arc et aux flèches, pour prendre aussitôt le fusil, sans parcourir la distance qui séparait, dans le passé, ces différentes armes. Les Européens qui colonisèrent l’Amérique ne reprenaient pas l’histoire par son commencement. » Trotsky, Histoire de la Révolution Russe

2) Développement combiné

Non seulement, les pays retardataires avancent par bond, mais en plus il y a un rapprochement, une fusion des différentes phases de développement. Il y a une combinaison, dans la même société, d’éléments archaïques et d’éléments ultra modernes, qui viennent des pays impérialistes.

Par exemple, en Afrique du Sud, dans les années 1960, on a la combinaison d’une industrie très développée (notamment le diamant), d’un secteur financier de pointe... et de la structuration politique la plus réactionnaire du monde, avec l’Apartheid, c’est à dire la pire des ségrégations raciales, le contrôle de la main d’œuvre noire en l’empêchant de circuler librement d’une ville à l’autre...

Mais les pays impérialistes ne font pas qu’exporter des éléments de modernité dans les pays dominés. Ils en influencent le développement en totalité, le façonnent, en choisissant les branches d’activités qu’ils veulent développer, en fonction de leurs propres besoins, et en détruisant celles qui les gênent !

Par exemple, l’industrie textile florissante en Inde au 19e siècle a été méticuleusement rasée par le colonialisme anglais, qui a ainsi éliminé un concurrent et ouvert un marché d’exportation au textile anglais... De même, l’impérialisme force de nombreux pays dominés à s’enfermer dans la monoculture de produits d’exportation (café, cacao...), qui deviennent en plus inabordables pour la population locale, ou bien dans le tourisme, qui ne répond à aucun besoin de la population locale... Voilà le genre d’impasse dans laquelle se trouve la jeunesse de ces pays, y compris aujourd’hui, ce qui la force en partie à l’émigration...

Mais ce développement inégal et combiné réserve aussi des surprises. Trotsky prend l’exemple de la Russie : alors que l’agriculture paysanne russe restait essentiellement au niveau du 17e siècle, l’industrie russe se trouvait au niveau des pays capitalistes avancés, (en termes de technologie et de structure), voire les devançait.

Par exemple, la classe ouvrière russe en 1914 est plus concentrée qu’aux US, c’est à dire qu’elle travaille dans des usines gigantesques et ultra-moderne !

Il y a un passage immédiat du moujik, qui cultive la terre de son seigneur avec des outils archaïques, à la méga-usine ! Sans passer par 2 siècles de petit commerce, de manufacture, de petite usine, de moyenne usine... On passe directement de la pioche à des énormes machines et à des entreprises multinationales, ou mieux : on a les 2 en même temps, dans un même pays, dans une même ville !

En 1914 aux États Unis, 35% des ouvriers industriels travaillaient dans des petites entreprises de moins de cent salariés, c’est à dire les entreprises les moins modernes. Alors qu’en Russie la proportion n’était que de 18 %.

Toujours en 1914 aux États Unis, 18% des ouvriers industriels travaillaient dans des entreprises géantes de plus de mille salariés. Alors qu’en Russie la proportion allait de 40 jusqu’à 57% dans la région de Moscou.

La réalité du développement en Russie, ce n’est ni seulement la paysannerie arriérée à peine sortie du servage (les moujiks...), ni seulement les usines les plus modernes du monde (Poutilov à Saint-Pétersbourg...) : c’est les deux à la fois, avec ce que ça entraîne comme contradictions...

« Le prolétariat russe a fait ses premiers pas dans les conditions politiques d’un État despotique. Grèves interdites par la loi, cercles clandestins, proclamations illégales, manifestations de rues, collisions avec la police et la troupe — telle fut l’école créée par la combinaison d’un capitalisme en rapide développement et d’un absolutisme qui cédait lentement ses positions. La concentration des ouvriers dans de gigantesques entreprises, le caractère également concentré de l’oppression exercée par l’État, enfin les poussées impulsives d’un prolétariat jeune et plein de fraîcheur, firent de la grève politique, si rare en Occident, la méthode essentielle de lutte en Russie. », Trotsky, Histoire de la Révolution russe.

C’’est pour ça que la théorie du développement inégal et combiné est précieuse : elle prend en compte à la fois l’évolution dynamique de l’économie russe, son insertion dans le système capitaliste mondial, et les contradictions que tout cela engendre : c’est une analyse dialectique !

Au départ, cette loi du développement inégal et combiné concerne spécifiquement la Russie. Mais par la suite, Trotsky l’élargit et la généralise à tous les pays « coloniaux ou semi-coloniaux », c’est à dire aux pays capitalistes périphériques, aux pays du Sud, au Tiers-monde...

Le résultat de ce développement inégal et combiné, c’est que la Russie de 1905 comme les pays capitalistes périphériques d’aujourd’hui, présentent des structures de classe originales, et très différentes des vieux pays capitalistes.

3) Nécessité et impossibilité des révolutions bourgeoises

Une des principales conséquences politiques du développement inégal et combiné, c’est que dans les pays capitalistes périphériques, la bourgeoisie nationale est faible. Tellement faible, qu’elle n’a jamais joué le rôle historique « progressiste » qu’elle a joué dans les vieux pays capitalistes.

Ce rôle, c’est de réaliser certaines transformations sociales, qu’on peut appeler les taches démocratiques ou nationales des révolutions bourgeoises. Ces transformations sont à la fois des conditions avantageuses pour le développement capitaliste et des progrès réels pour la population.

En France, par exemple, la bourgeoisie révolutionnaire de 1789 a réellement transformé la société, en se mettant à la tête des masses populaires, dans un assaut contre l’Ancien Régime. Elle a établi un système démocratique parlementaire, avec des droits fondamentaux : liberté d’expression, liberté d’organisation... Elle opéré la séparation de l’Église et de l’État. Elle a divisé les gigantesques propriétés terriennes issues du féodalisme en plus petites unités, en réalisant la réforme agraire. Elle a réalisé l’unité nationale, en abolissant les particularismes régionaux, pour établir un marché national unifié, qui facilite la circulation des marchandises.

Mais ce rôle révolutionnaire, les bourgeoisies nationales des pays dominés ne le jouent pas. Elles sont le plus souvent trop faibles, mais surtout elle se retrouvent prises en étau, coincées, entre trois autres forces sociales.

D’un côté elles subissent l’influence des capitaux impérialistes, qui les dominent et limitent leur autonomie, mais qui leur permettent aussi d’être intégrées au marché capitaliste mondial. Elles se contentent donc du rôle de subalterne des bourgeoisies impérialistes, qui en échange les laissent pomper une part significative des richesses, et leur garantissent la position confortable de bourgeoisie parasitaire. Elles ont donc trop à perdre à se confronter à l’impérialisme.

D’un autre côté, ces bourgeoisies nationales ont des liens anciens et profitables avec des résidus de féodalisme, d’ancien régime, avec des structures sociales archaïques avec lesquels elles n’ont jamais rompu. Il s’agit aussi bien de structures claniques ou tribales, d’appareils religieux, de grands propriétaires terriens issus de la vieille noblesse... Les bourgeoisies nationales n’ont là encore aucun intérêt à rompre ou à s’affronter avec ces forces sociales, qui sont en général leurs alliés principaux pour maintenir l’ordre.

Enfin et surtout, ces bourgeoisies nationales trouvent face à elles un prolétariat, qui se développe en même temps que l’industrie, qui se concentre dans les villes, et qui représente de plus en plus une force sociale autonome et menaçante. Or, pour tenter un affrontement avec l’impérialisme et/ou avec les résidus de féodalisme, c’est à dire pour jouer leur rôle historique, ces bourgeoisies devraient forcement s’appuyer sur le prolétariat, le faire combattre en première ligne... Et cela leur apparaît, à juste titre, comme un pari beaucoup trop risqué !

Ainsi, la bourgeoisie cubaine, principalement composée de grands propriétaires terriens, s’accommodait très bien de l’absence de droits démocratique et de la dictature de Batista, et aussi de la dépendance totale par rapport à l’impérialisme américain (qui n’avait pas hésité à transformer La Havane en un Casino-Bordel géant, sous la responsabilité directe de la mafia américaine...).

Résultat : les pays capitalistes périphériques sont maintenus prisonniers de la pauvreté, de l’idéologie réactionnaire, de la dictature, du pillage impérialiste... Du moins tant que les missions révolutionnaires que la bourgeoisie refuse de réaliser ne sont pas assumées par un remplaçant de choix : la classe ouvrière !

II : La théorie de la Révolution Permanente

1) La naissance de la théorie de la révolution permanente

Le débat sur la Révolution Permanente apparaît en Russie, après l’échec de la Révolution de 1905. Et c’est tout sauf un débat abstrait : il s’agit de définir l’orientation concrète des révolutionnaires russes, et le projet politique qu’ils doivent défendre dans une situation de luttes de masses.

Il y a quasi-unanimité entre les différents courants marxistes russes pour affirmer que la future révolution russe sera nécessairement et strictement démocratique-bourgeoise, c’est à dire que ses taches seront limitées à l’abolition du tsarisme, l’établissement d’une république démocratique, la suppression des vestiges féodaux dans les campagnes, la distribution des terres aux paysans... Autrement dit, son but sera principalement d’abolir la dictature et de faire de la Russie une puissance capitaliste moderne. Et c’est d’ailleurs le genre de perspective que défendent à la fois la gauche traditionnelle en Tunisie ou en Égypte, et les bourgeoisies occidentales.

Les désaccords portent sur quelle classe doit diriger la révolution, et donc sur le rôle de la classe ouvrière et sur ses choix d’alliances.

Pour les sociaux-démocrates (les mencheviques), comme la révolution sera bourgeoise, le gouvernement qui la dirigera doit être bourgeois. La classe ouvrière doit se contenter de soutenir ce gouvernement de la bourgeoisie libérale, l’aider à mettre en place les mesures démocratiques, et se contenter d’être une opposition parlementaire, pour réclamer des réformes en faveur des travailleurs.

Pour Lénine et les bolcheviques (en tout cas jusqu’à avril 1917), la classe ouvrière doit s’allier à la paysannerie pour prendre le pouvoir et former un gouvernement révolutionnaire, dont le rôle sera de réaliser les taches démocratiques à la place de la bourgeoisie et de permettre l’ouverture d’une phase de développement capitaliste, jugée indispensable avant d’envisager une future révolution socialiste.

Trotsky a une position complètement à part dans ce débat.
A partir d’une étude du développement inégal et combiné en Russie, qui a pour résultat une bourgeoisie faible et un prolétariat moderne et exceptionnellement concentré, il aboutit à la conclusion que seul le mouvement ouvrier, soutenu par la paysannerie, peut accomplir la révolution démocratique en Russie, en renversant l’autocratie et le pouvoir des propriétaires fonciers. Mais la nouveauté fondamentale, c’est qu’il en conclue aussi la possibilité de poursuivre le processus révolutionnaire au delà des taches démocratiques. C’est à dire la nécessité, puisque la classe ouvrière serait au pouvoir, de commencer à prendre des mesures anti-capitalistes, à s’attaquer à la propriété privée, à mettre en place le pouvoir des travailleurs...

Il l’argumente assez simplement : “la domination politique du prolétariat est incompatible avec son esclavage économique”. Autrement dit : comment un ouvrier, dont la mobilisation aurait renversé le tsarisme et dont le parti révolutionnaire serait au pouvoir, pourrait-il continuer à baisser la tête à l’entrée de son usine ?! À obéir à son patron ?!

Depuis le début des processus révolutionnaires en Egypte et en Tunisie, dans toute une série d’entreprises, les travailleurs ont viré leur patron !
En Tunisie, à Reddeyef dans le bassin minier, la ville entière est gérée par la population, dans un cadre d’auto-organisation : le pouvoir politique y est passé dans les mains de la classe ouvrière (le siège du pouvoir y est désormais le siège de l’Union Générale des Travailleurs Tunisien), et l’Etat bourgeois tunisien y a disparu !

Trotsky est le premier, et le seul jusqu’en 1917, à envisager la possibilité d’une transformation de la révolution démocratique en révolution socialiste.

C’est en ce sens qu’on parle de « révolution permanente » : il ne s’agit pas de « faire la révolution tout le temps », mais plutôt d’un processus en continu, d’une révolution ininterrompue qui passerait des taches démocratique aux taches socialistes.

“La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente” : Trotsky, La Révolution Permanente

2) La Révolution Russe : de la théorie à la réalité de la lutte des classes

10 ans plus tard, en 1917, le débat se pose de nouveau. Mais cette fois, c’est en plein cœur d’un processus révolutionnaire.

En Février 1917, en pleine guerre mondiale, les travailleurs russes se sont soulevés, accompagnés par de nombreuses révoltes paysannes, et par de forts remous dans l’armée. Ils ont renversé le tsar. A sa place, ils ont récolté un gouvernement bourgeois qui continue la guerre, et ne prend aucune des mesures bourgeoises-démocratiques que la population attend de lui.

Toute ressemblance avec les gouvernements successifs en Tunisie n’est bien évidemment pas due au hasard...

L’analyse de Trotsky se vérifie donc dans la pratique.

Mais en quelques mois à peine, le débat a radicalement changé de nature : il s’agit maintenant de décider si le prolétariat révolutionnaire russe doit partir à l’assaut du pouvoir, dans les semaines qui suivent ! A partir du mois d’avril, c’est ce que défendent Lénine et Trotsky, et ils en convainquent le parti bolchevique.

Et c’est bien ce qui va se passer en Octobre 1917 : quelques mois à peine après le début de la révolution bourgeoise-démocratique, les travailleurs, organisés en soviets (c’est à dire en assemblées de délégués élus par les ouvriers, les soldats et les paysans) et dirigés par le parti bolchevique, prennent le pouvoir et commencent à s’attaquer au système capitaliste !

Une fois au pouvoir, les révolutionnaires d’octobre ne se limitent pas à des réformes uniquement démocratiques ; la dynamique de la lutte de classe les oblige à prendre des mesures explicitement socialistes. En effet, confrontés au boycott économique des classes possédantes et à la menace croissante d’une paralysie générale de la production, les bolcheviks et leurs alliés ont été conduits - bien plus tôt que prévu - à exproprier le capital : en juin 1918, le Conseil des Commissaires du Peuple décrète la socialisation des principales branches de l’industrie.

En d’autres termes : la révolution de 1917 a connu un processus de développement révolutionnaire ininterrompu depuis sa phase « bourgeoise-démocratique » (inachevée) de février jusqu’à sa phase « prolétarienne-socialiste » qui commence en octobre. Avec le soutien de la paysannerie, les Soviets ont combiné les mesures démocratiques (la révolution agraire) avec les mesures socialistes (l’expropriation de la bourgeoisie), ouvrant une période de transition vers le socialisme.

Le parti bolchevique n’a pu prendre la direction de ce gigantesque mouvement social qui a ébranlé le monde que grâce à la réorientation stratégique radicale initiée par Lénine en avril 1917, selon une perspective identique à celle de la révolution permanente.

3) Un exemple, et un exemple en négatif

La théorie de la révolution permanente a été élaborée à partir de la révolution russe, mais elle est valable pour analyser d’autres expériences révolutionnaires, victorieuses ou défaites.

Par exemple, la révolution cubaine est aussi un processus de révolution permanente.

Cette révolution a renversé la dictature de Batista en 1959, suite à la combinaison d’une lutte de guérilla dans les campagnes, et d’une grève générale dans la capitale.

La direction cubaine, Fidel Castro, le Ché, le Mouvement du 26 avril, se battent contre la dictature, pour une révolution démocratique. Mais il n’est pas question de révolution socialiste. Du moins pas avant la prise du pouvoir.

C’est en cours de processus, et notamment face à l’impérialisme américain, que le gouvernement révolutionnaire cubain se retrouve à passer de la réalisation des taches démocratiques à l’élaboration d’un projet pour réaliser les taches de la révolution socialiste, comme la collectivisation des moyens de production...

A un journaliste qui lui demandait si la révolution cubaine était une révolution marxiste, Ché Guevara a répondu : « Non, la révolution cubaine n’est pas marxiste. Mais la réalité est marxiste ». Une manière de dire que, comme en Russie, c’est la réalité de la lutte des classes qui leur a imposé le passage à des taches socialistes.

L’histoire du 20eme siècle regorge malheureusement plutôt d’exemples en négatifs, où des processus de révolution démocratique ne se sont pas transformés en révolution permanente. Le plus souvent, sans permanence de la révolution, ces processus n’ont pas non plus réussi à remplir les taches démocratiques.

C’est le cas de l’Afrique du Sud, dont on a parlé plus tôt, et qui illustrait bien le développement inégal et combiné : un fort développement économique, industriel..., mais des taches démocratiques massivement non résolue avec l’Apartheid.

Dans les années 1970, il y a en Afrique du Sud, à la fois un essor des luttes ouvrières du prolétariat noir (notamment dans les mines et l’industrie), avec l’émergence de la centrale syndicale COSATU, et l’apparition d’une nouvelle génération radicale dans la jeunesse des ghettos et des townships, autour du Mouvement de la Conscience Noire (dont le leader Steve Biko est le héros du beau film Cry Freedom).
Le gouvernement raciste n’arrive pas à écraser ces luttes massives, malgré la forte répression, et tout cela amène le pays au bord de l’explosion.

Il y a alors un débat, public et à une échelle de masse, et qui va se poursuivre pendant plusieurs années, entre d’un côté l’aile radicale de la COSATU (la centrale syndicale) et le Mouvement de la Conscience Noire, et de l’autre le PC d’Afrique du Sud et l’ANC (le parti de Mandela, représentant la petite-bourgeoisie).

Ce débat porte sur les taches de la révolution à venir : faut-il se centrer sur des taches démocratiques, l’abolition de l’Apartheid, et faire alliance pour cela avec les secteurs libéraux de la bourgeoisie ? Ou bien faut-il mettre en avant des revendications transitoires, et engager une dynamique qui balaye aussi bien l’Apartheid que le système capitaliste ?

Ce débat se poursuit jusqu’en 1994. C’est le moment où Mandela se fait élire, après un accord avec la bourgeoisie blanche, pour mettre fin à l’Apartheid et instaurer une démocratie parlementaire, mais surtout pour éviter une confrontation de classe qui aurait pu mener le processus de libération sud-africain dans une dynamique de révolution permanente.

Résultat : au lieu d’aller vers une transition au socialisme, l’Afrique du Sud est engagé depuis 1994 dans une course au néo-libéralisme. Et ce n’est pas la transformation d’une partie de la petite-bourgeoisie noire en bourgeoisie noire qui peut faire oublier les conditions de vie désastreuses de l’immense majorité de la jeunesse et du prolétariat noir, ni la caricature de démocratie qui s’est mise en place dans ce cadre.

III : Un outil pour l’action

1) La centralité de la classe ouvrière

Comme on l’a vu à propos de plusieurs processus révolutionnaires, c’est l’intervention directe de la classe ouvrière qui change tout !

En Égypte, en Tunisie : les grèves ouvrières ont non seulement préparé le terrain les années précédentes, mais elles ont aussi été l’élément décisif au moment du soulèvement, pour faire chuter le dictateur. Et même après la chute du dictateur, c’est encore l’intervention de la classe ouvrière qui fait qu’il se passe toujours des choses, et qui peut décider de la suite des événements...

Dans les endroits où un pouvoir alternatif a été mis en place, le changement est réel : les dictateurs d’usines ou de villes sont virés, et il y a des formes de contrôle par les travailleurs de l’entreprise ou les habitants de la ville.

Alors qu’au niveau central, au niveau de l’État égyptien ou tunisien, les travailleurs n’ont pas (encore) pu constituer un pouvoir alternatif, qui regroupe autour de lui toutes les masses opprimées (les jeunes, les paysans...).

Du coup, même les taches démocratiques de base, comme se débarrasser de la pauvreté, de la dictature (et pas que du dictateur) ne sont pas réalisées...

2) L’internationalisme

Un autre élément se dégage des différents processus de révolution permanente : c’est la question de l’internationalisme.

D’abord, les processus révolutionnaires ont tendance à déborder des frontières. C’est le cas de manière évidente dans l’actualité : Tunisie, puis Égypte, puis État Espagnol, puis Grèce...

C’était le cas aussi pour la révolution russe, qui a déclenché une vague révolutionnaire dans toute l’Europe : Allemagne, Hongrie, Italie...

Mais il ne s’agit pas seulement d’un processus d’extension spontané... Il s’agit d’une politique résolument internationaliste : ça a été le cas de la révolution cubaine (le Ché emmène des guérilleros au Congo, puis en Bolivie...), les dirigeants de la révolution russe ont créé une nouvelle internationale pour propager la révolution !

« La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l’arène internationale et s’achève sur l’arène mondiale » : Trotsky, La Révolution Permanente

3) Des pistes d’orientation

Pour conclure, juste insister sur le fait que la théorie de la révolution permanente n’est pas qu’une théorie qui aide à comprendre, même si c’est déjà beaucoup...

C’est aussi un outil pour l’action : l’affirmation que toute révolution à venir peut se transformer en révolution socialiste donne déjà des principes politiques, des pistes d’orientation.

Par exemple, la nécessité pour les révolutionnaires d’œuvrer à une autonomie politique de la classe ouvrière, à sa non-subordination à d’autres intérêts de classe, notamment petit-bourgeois (à la lumière notamment de l’expérience sud-africaine).

Ou dit autrement, le besoin pour la classe ouvrière et les révolutionnaires de ne pas s’autolimiter sur les taches que l’on peut fixer à un processus révolutionnaire, sur les revendications que les révolutionnaires mettent en avant... Avec notamment la perspective du programme transitoire, qui permet de dépasser la division mécanique entre taches immédiates (notamment démocratiques) et taches socialistes.

Conclusion

Aujourd’hui, en particulier dans les conditions de la crise... dans des pays comme l’Égypte ou la Tunisie, où la pauvreté est endémique : se battre pour des choses aussi simples et démocratiques que le droit à la santé et à l’éducation pour tous, ça signifie s’en prendre directement aux intérêts des capitalistes tunisiens ou égyptiens et impérialistes.
Le remboursement de la dette, notamment des intérêts de la dette, c’est le premier poste de dépenses de l’État (c’est à dire plus que l’armée, que l’éducation...) ! La dette met en place un flux continu de richesses, des pays de la périphérie vers les pays dominants.

Or, pour financer des écoles ou des soins pour tous, il faut forcement abolir la dette, sinon on n’a tout simplement pas d’argent pour le faire... Ça veut dire s’affronter aux capitalistes tunisiens et aux capitaliste et financiers des grandes puissances, ça veut dire étendre la révolution !

On a beaucoup parlé du pillage de la richesse nationale par les dictateurs et leur entourage... Mais la seule manière de faire cesser le pillage, par les despotes ou par l’impérialisme, c’est que les secteurs clé de la richesse nationale soient nationalisés, c’est à dire d’exproprier les capitalistes qui les contrôlent, et de faire en sorte que ce soit les travailleurs qui décident de ce qu’on en fait...

Gabriel Lafleur


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